Google a officiellement lancé son AI Mode gratuitement pour tous les utilisateurs américains le 20 mai 2025, marquant ce que le PDG Sundar Pichai qualifie de "refonte totale de la recherche". Cette évolution majeure, alimentée par son modèle de langue le plus avancé à ce jour Gemini 2.5 pro, transforme radicalement l'expérience de recherche en ligne, faisant passer Google d'un moteur de recherche traditionnel en un véritable moteur de décisions, où l'utilisateur, à partir d'une simple requête conversationnelle, peut acheter des billets d'avion, réserver un restaurant, acheter des chaussures de running, etc. Une innovation qui vise à repositionner Google comme l'acteur dominant de la recherche en ligne face à ses nouveaux concurrents que sont ChatGPT d'OpenAI et Perplexity, mais qui suscite de vives réactions dans l'industrie des médias et du référencement naturel.
Une technologie qui va au-delà des simples résultats
Au cœur de l'IA Mode se trouve une technique d'éventail de requêtes ou query fan-out permettant au système de décomposer les questions complexes en multiples sous-requêtes simultanées, visant à explorer toutes les facettes de la thématique intéressant l'utilisateur. Cette approche innovante permet à Google d'explorer le web en profondeur et d'offrir des fonctionnalités avancées comme la recherche approndie ou deep search, capable de générer des rapports de niveau expert, entièrement cités, en quelques minutes. C'est en tout cas l'ambition affichée par le géant américain.
Le Mode IA intègre également des capacités agentiques destinées à aider les utilisateurs dans l'accomplissement de tâches concrètes, comme la recherche et l'achat de produits ou la réservation de restaurants. Une dimension de personnalisation vient compléter le dispositif, avec la possibilité d'intégrer – sous réserve du consentement de l'utilisateur – des données issues des requêtes précédentes, de Gmail et de l'historique de localisation.
Le déploiement international de l'AI Mode en question
Si le Mode IA est actuellement exclusif aux États-Unis, les "Aperçus IA" ou AI Overview (sa version simplifiée) sont déjà disponibles dans plus de 200 pays et 40 langues, y compris dans les principaux marchés européens comme l'Espagne, l'Allemagne et l'Italie. Les AI Overviews ne sont pour le moment qu'en test en France. Cette stratégie progressive laisse présager un déploiement international de l'AI Mode complet dans les prochains mois, bien qu'aucune date officielle n'ait été communiquée à ce jour.
Des inquiétudes croissantes pour les éditeurs de contenu
Les premières données sur l'impact des nouvelles fonctionnalités IA de Google sont alarmantes pour l'écosystème des créateurs de contenu. Dans une étude publiée sur son blog le 17 avril 2025, Ahrefs révèle que l'apparition des AI Overviews dans les pages de résultats de Google fait baisser le taux de clics moyen du résultat en première position de 34,5% (l'étude a été effectuée sur 300 000 mots-clés entre mars 2024, avant le déploiement des AI Overviews aux USA, et mars 2025, après le déploiement). Cette baisse du CTR moyen s'expliquerait par le fait que les AI Overviews, visant à répondre directement aux requêtes des utilisateurs dans les pages de résultats via un résumé des sources collectées par l'IA, réduirait en conséquence le besoin des utilisateurs de cliquer sur des liens externes.
Aux Etats-Unis, l'association News/Media Alliance, représentant plusieurs grands éditeurs américains, a publié un communiqué le lendemain de la Keynote de Google, qualifiant les nouvelles fonctionnalités IA de Google de "vol", estimant qu'elles privent les éditeurs de trafic et de revenus en utilisant leur contenu sans compensation adéquate.
Cette évolution inquiète également les professionnels du SEO. Lily Ray, vice-présidente de la stratégie SEO chez Amsive Digital, n'a pas mâché ses mots suite à l'annonce : "Je suis déçue, mais pas surprise, que Google n'ait pas dit un seul mot sur la façon dont ils comptent inciter les éditeurs à continuer de créer du contenu face à ces nouvelles fonctionnalités d'IA, qui engloutissent le contenu des éditeurs avec très peu d'opportunités restantes pour générer du trafic vers leurs sites."
Virginie Clève, consultante SEO reconnue en France pour son expertise dans les secteurs des médias et de la culture, partage cette préoccupation et ajoute une dimension environnementale à la critique : "Pour moi Google est passé définitivement du côté obscur. Ils ont tellement peur de ChatGPT et consorts qu’ils sont prêts à tout, et surtout à écraser les éditeurs et à les pousser à la faillite. Je ne pense pas que ce nouvel internet sera pour le mieux, sans compter à quel point c’est catastrophique sur le plan écologique."
Olivier Duffez, fondateur de WebRankInfo, soulève quant à lui une préoccupation liée à l'accès aux données de l'IA de Google pour les éditeurs de sites afin de pouvoir adapter leur stratégie SEO en conséquence. Il est à noter en effet que lors des tout premiers jours du déploiement de l'AI Mode de Google aux USA, les experts avaient remarqué que les liens fournis dans les réponses de l'IA étaient affublés de l'attribut "noreferrer", rendant impossible le tracking du trafic en provenance de l'AI Mode. Ce "bug" de Google a été résolu depuis.
Google a par ailleurs indiqué, par l'intermédiaire de son porte-parole John Mueller, que les données de trafic en provenance de l'AI Mode s'afficheront prochainement dans la Google Search Console. Il n'est cependant pas très clair si cela concernera également les requêtes spécifiques tapées par les utilisateurs en mode conversationnel, ce qui serait une première, car à ce jour, aucun outil ne permet de savoir quelles sont les questions que posent les internautes dans les moteurs de recherche génératifs. Quoi qu'il en soit, Google a indiqué que la Search Console ne permettra pas d'isoler précisément les données issues de l'AI Mode des autres types de résultats de recherche.
La réponse de Google face aux inquiétudes liées à l'impact négatif de son IA sur le trafic web
Dans une interview publiée le 28 mai 2025 au podcast Decoder du média américain The Verge, Sundai Pichai affirme que les fonctionnalités d'IA de Google, comme les AI Overview et l'AI Mode, ne résuisent pas le trafic vers les sites web. Il soutient au contraire qu'elles dirigent les utilisateurs vers une plus grande diversité de sources et de sites, tout en améliorant la qualité du trafic. Les utilisateurs passeraient en effet plus de temps sur les sites référencés, ce qui suggère un engagement accru. Le dirigeant de Google n'a cependant fournit aucune preuve ni source fiable pour étayer ses propos. Il reconnaît par ailleurs que la question de la juste rémunération des éditeurs de site est un sujet compliqué et que des discussions sont en cours.
Une adaptation nécessaire des stratégies SEO
Face à cette transformation radicale de la recherche en ligne, les spécialistes du marketing doivent repenser leurs approches. L'objectif ne doit plus être d'obtenir le meilleur classement dans une liste de liens, mais de devenir la source de référence des réponses générées par l'IA de Google.Les experts recommandent de travailler en priorité leur autorité digitale et de privilégier un contenu de haute qualité, unique, complet et bien structuré, facilement digérable par les LLM, qui répond directement aux questions des utilisateurs, et à toutes leurs questions. L'utilisation de données structurées (balisage schema) devient plus critique que jamais pour aider l'IA de Google à comprendre le contexte et la pertinence du contenu.
Vers une nouvelle économie du web ?
Cette évolution de la recherche en ligne alimentée par l'IA pourrait marquer une rupture du modèle économique qui a rendu les sites web rentables au cours des dernières décennies. Les créateurs de contenu devront explorer des sources de revenus diversifiées au-delà du trafic publicitaire traditionnel, comme les abonnements directs ou le contenu premium, ou encore la signature de partenariats stratégiques avec les fournisseurs de grands modèles de langage.
À l'heure où l'IA redéfinit notre rapport à l'information, une question fondamentale se pose : comment préserver l'écosystème dynamique et diversifié du web qui a fait son succès, tout en embrassant les avancées technologiques qui améliorent l'expérience utilisateur ? Le débat ne fait que commencer.
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